mardi 5 juillet 2016

SHOE'S CITY - GRANDE SYNTHE

SHOES ' CITY
GRANDE-SYNTHE

Sur la pelouse du Jardiland, sur le parking du Décathlon, à quelque endroit où se pose l’œil, elles sont là, gisantes, abandonnées, toujours par paires. Des bottes de toutes tailles, des petites qui vous serrent le cœur, des grosses bottes de chantier, des fleuries, de celles qui rendent coquet le jardinage. S'ajoutent les baskets, tellement gorgées d'humidité qu'elles ne peuvent plus être portées. Plus on s'approche du camp, plus leur nombre augmente. Ces quatre méchantes paires assemblées autour du tronc d'un arbre rabougri, abominable sapin de Noël.
C'est que, voyez-vous, quand on patauge dans la boue du matin au soir, ça abîme. De même que quand on mange, quand on dort, quand on se lave dans la boue du matin au soir, ça abîme.

Inutile de s'étendre sur la description de l’immonde cloaque, il y a maintenant suffisamment d'images pour ne pas l'ignorer, à moins de ne pas vouloir voir. Il tord les chevilles, il fait mal au mollet, on n'est jamais à l'abri de se coincer le pied dans le bois des palettes enfouies dans le sol, posées au fur et à mesure que la jungle « s'urbanisait » et créait son propre labyrinthe.
Ce cloaque va bientôt disparaître, un nouveau camp s'élève déjà à trois kilomètres. Plus convenable aux êtres humains. Mais, eux, ces jeunes hommes, là, qui arpentent les rues avec aux pieds une paire de bottes et dans la main une paire de baskets, ils vont encore essayer. Ce soir, demain, comme il l'ont fait hier et avant-hier. C'est plus pratique des baskets pour courir après les camions ou quand on a la police aux trousses. Ils veulent l'Angleterre autant qu'ils la haïssent. C'est une obsession qui rend dingue.

Non, on n'a pas fini de voir de Calais à Dunkerque, parmi cet enchevêtrement de grillages, de bretelles auto-routières, ce fourmillement intense de mouvement de véhicules, on n'a pas fini de voir ces arpenteurs recroquevillés sur leur espoir et leur dénuement, avec, dans un sac en plastique, des semelles qu'on voudrait de vent.

Mars 2016

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