lundi 4 juillet 2016

NAISSANCE D'UNE DÉMOCRATIE

NAISSANCE D'UNE DÉMOCRATIE



« Tu es si bien le suprême seigneur de l'Univers que rien sur la terre ne se produit sans toi, rien dans le ciel éthéré, rien dans la mer » marmonna Cléanthe avant d'abandonner ses cinq amphores de céréales bourrées ras le col aux margoulins du temple de Zeus chargés de récupérer les offrandes obligatoires. Pas même un merci, rien. Ils savaient bien pourtant que les récoltes avaient été mauvaises cette année, un temps pourri, ouais. Ses pas l'amenèrent tout naturellement vers la taverne de la Grotte pour chercher un peu d'ombre et avaler au moins deux ou trois verres de raisiné pour faire passer sa mauvaise humeur. Agamemnon, le bistrotier, était en grande conversation avec Socrate, le patron pêcheur et Iphigénie, la marchande d'olives.
« Tu peux pas blasphémer comme ça, Socrate ! » disait Agamemnon, les sourcils froncés et les mains sur les hanches.
« Je te dis que Poséidon, je l'emmerde, là ! Je vais pas lui sacrifier un bœuf à chaque fois qu'il fait mauvais temps ! Au prix où ça coûte, un bœuf, je ferais aussi bien de vendre mon bateau. Et ce qui me troue le cul, c'est de voir comment ils se gobergent, les prêtres du temple !...Mangent de la viande tous les jours, ceux-là »
« T'as raison mon Soso, je viens de livrer mes amphores chez Zeus et rien qu'à penser à leurs têtes de rongeurs, ça me... Tiens, sers m'en un Agamemnon »
« Vous avez tort de ne pas craindre la colère des Dieux ! »
« Ouais oh ça va, hein ! Toi, t'es tranquille avec Dyonisos, avec tout ce qu'on picole chez toi, t'as pas de souci à te faire, on se sacrifie pour toi. »
Le tavernier tourna les talons en sifflant entre ses dents.
« Dis donc Cléanthe, tu devrais plutôt voir du côté de Démeter pour tes récoltes » intervint Iphigénie en posant sur la table une poignée d'olives noires, histoire de grignoter quelque chose avec le résiné. « Ils sont moins exigeants en offrandes et en sacrifices et l'accueil est sympathique ; les filles sont charmantes qui plus est. »
« Ben, moi je préfère avoir à faire à Zeus qu'à ses sous-fifres, tu vois. Ils demandent moins mais plus souvent et puis, j'ai eu une histoire avec une vestale... enfin bon, voilà quoi. »
Socrate cracha rageusement son noyau d'olive.
« Zeus, Poséidon, Démeter, Héra, Arès... Tu veux que je te dises, Phiphi, ils se foutent de nous, ils se moquent totalement du peuple. Ils passent leur temps à se bouffer le nez, à coucher les uns avec les autres, à bidouiller des petits arrangements qui nous passent au-dessus de la tête. Y'en a qui font bien leur boulot, je dis pas, mais la majorité, ils sortent tous de l'Olympe, tous du même moule. Qu'est-ce tu veux qu'ils nous comprennent ?! »
« Mon Soso, t'es dans le vrai » soupira Cléanthe « Mais avant que ça change tout ça, on aura repeint le Parthénon... Sont bonnes tes olives Phiphi »
« Oui hein ? »
« T'as peut-être raison pour Déméter alors.»
« Ah ben là, elle n'y est pour rien. Enfin je veux dire, avec les autres cueilleuses, on s'est rendu compte que certains de nos arbres donnaient des olives moins bonnes en prenant de l'âge et qu'il serait peut-être temps d'en arracher quelques uns et d'en planter d'autres. On a fait une réunion. Ça a été chaud parce que, justement, certaines avait peur de la réaction de Déméter. On a causé, on a causé... »
« Ah ça ! Une réunion de gonzesses, ça a du piailler, t'imagine Cléanthe ? »
« ...et on a voté »
« Vous avez quoi ? »
« On a voté. Et on a arraché les arbre et replanté d'autres... D'où les bonnes olives »
« Pas de sacrifice, rien ?»
« On a chanté »
Les deux hommes se jetèrent un regard en coin en finissant leur verres.
« Bon et bien, c'est pas tout ça les gars, faut que je me sauve » Iphigénie se leva et, avant de s'éloigner, ajouta en souriant une autre poignée d'olives.
« Salut Phiphi... Dis, Cléanthe. C'est pas con, leur truc »
« Quoi ? Le coup du vote ? »
« Ben ouais. Moi, je te dis y'a des trucs que les Dieux, ils savent pas faire et qu'ils ne sauront jamais faire tant qu'ils resteront des dieux. Ils s'en foutent du quotidien.»
« Par exemple ? »
« Le Parthénon, tiens. Tu crois pas qu'on aurait mieux fait de réparer les quais du Pyrée avant de construire cette horreur ? »
« Ça ! Et l'état des routes ! Je te dis pas pour amener mes récoltes en ville. Mais là, ce sont les gros bonnets qui décident... »
« Gros bonnets, tu parles, des héritiers tout ça. Ça fait longtemps qu'elle est finie la guerre de Troie. Tu sais quoi, Cléanthe ? Demain, j'en parle à mes gars et ce serait bien que t'en parles aussi autour de toi. On est des hommes libres après tout ! Gros bonnets ou pas, on devrait avoir notre mot à dire, putain. »
« T'as raison, mon Soso. Demain, on s'y met ; mais euh, pour le vote, on dirait donc que pour les ilotes, ils auraient pas le droit ? »
« Évidemment ! Seulement les hommes libres ! »
«  Et euh...les femmes ?.. »
« Ah ben, les femmes non plus ; ben oui... T'imagines les réunions ? »
« On est d'accord. Pas de vote pour les esclaves et les femmes. Faut pas effrayer les gens non plus »
« Non plus, non. Eh, Agamemnon, tu farcis des poivrons ou quoi ? On a soif, nous ! »

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