dimanche 2 octobre 2022

BARAN باران

 

 




Ils ont rasé leurs tempes

They’ve shaved their temples

Touzet blev o ovidig 

Et parfumé leur barbe

And perfumed their beards

Strinket c'hwezh vad war o farv

Épaule contre épaule

Shoulder to shoulder

Skoaz ouzh skoaz

Ils se tiennent en ligne

They stand in line

En ur roudenn

Lancent leur jarrets robustes

Thrust out robust calves

Taoler 'reont o divesker kreñv

Sur un sol qui n'est pas le leur

Onto a ground that’s not their own

Uhel en aer war an tamm douar pell-mañ


Dehors, la pluie s'annonce

Outside, rain is coming

Er-maez, ar glav o tont

Baran !


Ils dansent comme on leur a appris

They dance as they have been taught

Dañsal a reont hervez ar c'hiz

Comme ils ont vu leur père

Like they saw their fathers dance

Desket dezho gant o zadoù

Une noce, une guerre

A wedding, a war

Eured, brezel

On danse là-bas aussi

They dance over there too

Ahont ivez e vez dañset

Dans une main un foulard

A scarf in one hand

Gant ur skerb en un dorn

Et de l'autre un fusil

And in the other a gun

Hag ur fuzuilh en dorn all



Dehors la pluie hésite

Outside the rain hesitates

Er-maez, ar glav en arvar

Baran !


Nos pas s'accordent aux leurs

Our steps match theirs

Hor c’hammedoù hag o re

Comme ils se mêlent aux nôtres

As theirs mix in with ours

A ya da heul an eil d’egile

D’arabesques en spirales

Spiralling arabesques

Troellenn ha linenn gamm

Nos univers s’enroulent

Universes intertwined

Hon hollvedoù ' zo liammet start

Entre semelle et terre

Between sole and earth

Etre botez ha douar

L'espace n'est que poussière

Space is all dust

An egor 'zo leun a boultrenn


Dehors la pluie s'échauffe 

Outside the rain is warming

Er-maez, ar glav o tommañ

Baran !


Avance avance encore

Forward forward once more

War-raok, war-raok c’hoazh

Ni sable ni mer ne font routes

Sand and sea are not roads

N’eus hent ebet nag en traezh nag er mor

Rien ne s’y danse, rien ne s’y trace

No dancing there, nothing leaves a trace

Eno ne vez ket na dañset na laosket roudoù

Nulle chaleur, nulle richesse

No warmth, no riches

  Ne ‘z eus na gor na pinvidigezh

Cachées sous vos draps d’or

Hidden under your golden sheets

Kuzhet en ho liñselioù aour

L'espoir encore est un effort

Hope is still an effort

Krediñ c'hoazh 'zo un emgann


Dehors la pluie bouillonne

Outside the rain is boiling

Er-maez ar glav o virviñ

Baran !


Nous avions ce soir là

That night we had

An devezh-se diouzh an noz

Des chants des cuivres du temps

Songs and horns and time

Ar c’hanaouennoù  ar sonerezh-kouevr an amzer ivez

Et notre pluie fidèle

And our faithful rain

Hag hor glav feal

À offrir en partage.

In which to share

Hon-noa da rannañ

 

Dehors la pluie triomphe

Outside Rain is triumphant

Er-maez, trec'h ar glav

  Baran !



@Polmadec

English traduction : Pikey Butler

Troidigezh e brezhoneg : Pol Madec, P. Kerledut



 


JE MONTE POLYEUCTE ( et je marche pour la culture )

 

 



-… Et toi, tu fais quoi ? Tu prépares un truc ? Je me souviens de ton spectacle sur les Norvégiens...

« Ah, ça y est » se dit-il in petto. Il savait bien qu'à se rendre à cette manif, il devrait inévitablement affronter ce genre de question.

  • Des Danois.

  • Hein ?

  • Des Danois, pas des Norvégiens, c'était un texte de Jorn Riels.

  • Oui, voilà. Le décor, la vache, la banquise... C'était super. La mise en scène, tout ! Et puis sacrés numéros d'acteurs. Vous étiez trois, non ?

  • C'est ça et deux technos.

Michel, le beau gosse, maintenant parti sur Lyon, auto-entrepreneur dans l'expression orale et gestuelle ; Fred, le petit teigneux, était le coude appuyé au bar au début de la manif, doit l'être encore et le sera tout autant à la dislocation ; Gé, régisseur municipal d'une salle de 2000 places dans un bled de 800 habitants, grosse grosse planque ; et John, mort ou quasi. Et lui, qui recherche désespérément une tête connue, de celles avec qui il était en tête de manif, il y a déjà...

  • Six ans, non ? Un truc comme ça ?

  • Hein ?

  • Ta pièce de Danois, six ans ou un truc comme ça ?

  • Douze.

  • 'tain, déjà ! J'étais pas encore intermittent à cette époque. J'étais juste stagiaire-lumière à « La Scène qui Tourne ». C'est là que j't'ai vu. Vous avez dû la tourner comme des malades...

  • Douze.

  • Ah merde ! C'était bien pourtant. C'est dingue... Ben moi, tu vois,...

« Je lui demande rien, moi. »

  • … je suis devenu régisseur-son à « La Scène qui Tourne ». Là, on est sur une créa de fous, un truc sur la place des jeunes dans le quartier...

C'est bien la lutte. Pour n'importe quoi, au moins une fois dans sa vie.

  • ... ont fait une immersion, après ils les filment dans...

Écrire un tract, c'est du boulot, écrire un tract. Expliquer, pas tout, parce que jamais on peut. On se fait, sinon des amis pour la vie, au moins on se reconnaît encore des années plus tard, un sourire dans le regard, un rien. On a lutté ensemble. On s'est engueulé, on a pinaillé, on a ri.

  • … sont vingt sur scène et la tournée est prévue pendant l'été...

Et puis aussi, il y avait... les yeux pétillants de Rozenn. Aux AG et aux après-AG. Elle a fait son trou, Roro. On appelle ça une nature dans le métier, un univers bien à elle. Je la suis sur le net, envoie des sms avant chacune de ses premières, elle répond toujours, même avec du retard.

  • Après on repart sur une autre créa mais cette fois-ci avec deux pros... Des pointures ! Des Suisses. Et toi alors ? Ta créa ?

  • Ma créa ?...

Un oiseau noir coassa dans le ciel bas.

  • Polyeucte. Je monte Polyeucte.

  • Po...

  • Corneille. J'ai le concept. Je le ferai seul. Plus facile à tourner, tu piges ? Avec des pots de yaourt, chaque personnage est représenté par un pot de yaourt. C'est ma belle-fille qui fait les costumes. Un truc genre bonneteau, tu vois. Hop, un personnage apparaît, un autre arrive, hop ! Pour grande salle avec écran puisque je filme au ras du plateau en HD et peut-être une seconde caméra selon la prod mais ça, tu sais ce que c’est...

  • Vache ! Sacré truc ! T'en a parlé avec « Le Scène qui Tourne » ?

  • J'ai croisé l'autre jour quelqu'un, je sais qu'elle y bosse mais pas eu le temps de la chopper.

  • C'était qui ?

  • Euh, elle avait des cheveux...

  • Isabelle ?

  • Sans doute.

  • Tu sais qu'avec ton machin avec les yaourts, tu peux être sur la ligne recyclage de matières premières, y'a des compagnies qui ont...

  • Je pourrais oui.

  • Bon ben, je te laisse. C'est à mon tour de porter le cercueil.

  • Ok. A plus.

Un cercueil ! Bordel, ils pourraient avoir d'autres idées que cette resucée d'un autre âge !... En même temps, dans l'urgence, on retombe souvent dans des réflexes similaires. Pas une lutte sans portée de cercueil à un moment ou à un autre.

Polyeucte en yaourt, il était content de sa sortie. Il allait lui expliquer quoi, au gamin ? Que son énergie créatrice s'était envolée avec sa femme quand elle a décidé de rejoindre Michel à Lyon ? À quoi, ça tient la précarité de l'artiste des fois. Des trucs qui s'enchaînent mal... un peu comme tout à chacun. Pas qu'un peu.

Mais quoi ? Renoncer au moment du miracle, de l' « Eurêka » d'une répétition, à la dernière respiration profonde avant d'entrer en scène, à la densité d'un silence avant le première note, le premier pas, et là-haut, dans l'ombre, les doigts moites sur les curseurs et... tous ces trucs ?

C'est avec eux qu'il est, là et maintenant, il a mal aux pieds et il les aime.


 

PELOTON GROUPÉ

 


Sourire aux bleus des âmes

Perdues à jamais dans le creux de la lame

L’acier blesse en tranchant

Le tissu des garrots

Libérables désirs

Infinies cicatrices d’une enfance adorée

Qui ne s’arrêtera pas

Jusqu’à ce qu’on lui dise

De sortir dans la cour

Massacrer ses godasses

Sur les cailloux vieillis

D’une école centenaire


Quel professeur mutant

Sorti du fond des âges

Sortira nos enfants

Du treillis de leurs cages

Démunis de savoirs mais ravis d’être ici

Joueurs et sans répit

Commencer le voyage

Vers une île encore nue

De coupants coquillages

Tenir triomphants une conque à l’oreille

Et s’écrier riant « j’entends la mer, maman »


Parader dans les rues d’une ville imprévue

Sur un chemin ouvert aux vents d’été

Et roulent les vélos d’un peloton groupé

Vers un autre virage

Où encore autre chose

Fabuleusement trouvé leur ouvrira les bras

Leur laissera au cœur un souffle indélébile

Dont ils mourront plus tard, extasiés et repus



 

RÉGIONALISATION INTERNE

 

 

Ça fait quelque temps déjà que mon corps et moi sommes en pourparler pour définir une régionalisation raisonnée. Le vieil état que je suis a besoin de rajeunir ses structures, les compétences ayant tendance à se déplacer avec l'âge. Je considère donc la demande comme légitime. Le problème est de ne pas déséquilibrer les territoires les uns par rapport aux autres.

Le cœur, se prévalant avec raison d'être le nœud de communication central, réclame à corps et à cris toute mon attention dans ces tractations. C'est l'organe le plus jacobin de tous sans aucun doute. Mais le temps a augmenté son volume inconsidérément au même titre que son ego, les embouteillages guettent et il est quasiment impossible d'établir des voies de dégagement sans léser encore plus le tissu périphérique. Il balaie ces remarques d'une contraction agacée s'appuyant sur les progrès de la recherche - dont il a bénéficié plus que tout autre - et impute ses défaillances à tous les autres organes. Il sait aussi jouer de la corde sensible quand il le faut et mettre en avant les vieux mythes créateurs de ma petite personne. Il est un peu chiant à ce niveau-là puisque j'ai la larme facile.

Mon cerveau lui, a des atouts certains. Il s'est montré jusqu'à présent le plus adaptable et je lui suis redevable de pouvoir maîtriser ma gestuelle, lire, écrire et ainsi remplir sans hésitation ma demande de RSA. La question est : n'y a-t-il pas de danger à se fier sans retenue à sa puissance ? La plus grande partie de son territoire est inconnu et l'inconnu fait peur. Certains en parle comme d'un paradis perdu, d'autres comme une région infestée de bêtes sauvages. Je me tâte pour lui appliquer le principe de précaution. En même temps, par rapport à la société hyper-technologique du cœur... je me tâte, je me tâte. Et puis je ne sais si je dois miser ce qu'il me reste à vivre sur sa matière grise car il commence à présenter des retards de transmission de plus en plus fréquent.

Les poumons devraient être dans les prochaines années le point noir de mon développement. Ils sont depuis des lustres encombrés par un environnement nocif. Les poumons sont plutôt centristes dans l'âme et par là-même très influençables. Bien que goudronnée régulièrement, leur infrastructure de communication pêche par son étroitesse ; ils cohabitent difficilement avec leur puissant voisin qui, en remuant véhémentement ses ventricules, leur reproche d'accueillir sans broncher toute la misère du monde. Je devrais lors des discussions tenter de rapprocher le cerveau des poumons, voir s'ils peuvent trouver un terrain d'entente.

L'appareil digestif se fout éperdument de ma régionalisation. Il attend tout du haut, il mâche, il ingère, il digère, il relâche. Ce n'est pas totalement de sa faute, il dépend en grande partie de la loi de la gravitation. Il renâcle de temps à autre en se faisant une petite poussée hémorroïdaire mais c'est le plus en danger, mine de rien. S'il compte sur les pansements gastriques pour résoudre ses problèmes à long terme, il se met l'iléon dans le rectum. On dit que l'estomac est un second cerveau. Deux ne seraient pas de trop, c'est certain. Ah oui, je vais essayer d'aller doucement sur les choux de Bruxelles. C'est bon, pourtant, les choux de Bruxelles.

Le plus ardu problème provient de mon appareil génital. Il est animé par un virulent mouvement indépendantiste qui ne veut plus entendre parler du cœur et du cerveau. Il les rend responsables d'un retard de développement qu'il assure rattraper par l'ouverture à des relations extérieures alternatives pas encore éprouvées jusqu'à présent. Mais la raréfaction de ses ressources naturelles me pousse à croire qu'il irait droit à l'échec. Le cœur et le cerveau sont bien conscients du problème et ont décidé de former une commission commune d'experts, bien qu'une partie de leur opinion voudrait voir diminuer leur part dans une activité de moins en moins rentable et vouée à la disparition.

Voilà. La partie s'avère difficile mais urgente et nécessaire. Elle demandera beaucoup de courage et d'énergie. Je vais d'ailleurs de ce pas m'acheter un mille-feuilles, tiens.